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Ardavan Amir-Aslani : « On a oublié que le Pakistan était l’héritier du grand empire Moghol des Indes. »

Comprendre le monde. Le Pakistan, une puissance mondiale de demain encore méconnue.

Ardavan Amir-Aslani est docteur en droit et avocat au barreau de Paris. Le grand public le connaît pour ses interventions médiatiques autour de la polémique sur l’héritage de la famille Hallyday, mais il est surtout le conseil de plusieurs États et groupes internationaux. Il enseigne également la géopolitique du Moyen-Orient à l’École de guerre économique. Dans son dernier ouvrage, il nous permet de découvrir ce pays méconnu, qui suscite parfois la crainte, mais qui est pourtant considéré comme une grande puissance mondiale de demain : le Pakistan.

« Le Pakistan. De l’empire des Moghols à la République islamique » d’Ardavan Amir-Aslani est publié aux Éditions de L’Archipel.

Kernews : On a souvent une image caricaturale du Pakistan et votre livre permet de mieux comprendre ce pays méconnu des Français. Vous rappelez qu’il s’agit de l’un des plus grands pays musulmans après l’Indonésie, c’est une puissance nucléaire et il est en conflit avec l’Inde. L’opinion publique a plutôt tendance à placer les Indiens dans le camp des gentils et les Pakistanais dans celui des méchants. Or, avant la fracture, lorsqu’il y avait un seul pays, les musulmans ont été mis de côté par les Indiens…

Ardavan Amir-Aslani : Absolument. J’ai essayé de décrire le pourquoi de la partition des Indes britanniques à travers l’étude de l’histoire. Déjà, à l’époque de la colonisation britannique, les musulmans ont été marginalisés en raison de la révolte des cipayes en 1857, lorsque les soldats, majoritairement musulmans, ont pris les armes contre les Anglais afin de récupérer la souveraineté que ce pays avait perdue. Cette tentative a rencontré un échec, mais c’est ce qui a permis aux Anglais de totalement écarter les musulmans – pas seulement de Delhi, qui était une ville musulmane avant cet événement – pour en faire des citoyens de seconde classe en assurant la promotion des hindous. Le Raj britannique a remplacé l’empire des Moghols, qui étaient des Ouzbeks persanophones partis des steppes de l’Asie centrale pour conquérir l’Inde et y créer l’un des grands empires de l’histoire. Gengis Khan est à l’origine de l’ethnie qui a pris le pouvoir aux Indes.

Il est intéressant de noter que c’est la culture actuelle du Pakistan qui prédominait dans cet ensemble et que les hindous étaient minoritaires…

Les hindous sont minoritaires et, sur le plan historique, ce qui a fait que l’empire Moghol des Indes arrivait à tenir ce vaste territoire, c’était principalement parce que les Moghols n’avaient pas fondé leur légitimité sur l’islam, mais sur les aspects culturels à travers la civilisation indo-persane, car n’oublions pas que les grands Moghols étaient tous persanophones. Les archives de l’Inde, jusqu’au XIXe siècle, sont en persan. Parce qu’ils n’avaient pas fixé leur légitimité sur la religion musulmane et parce qu’ils avaient recherché la synthèse avec les hindous, ils ont pu durer et tenir sur ce continent asiatique.

Vous nous présentez un personnage fabuleux, Shah Jahan. Beaucoup de gens pensent que le célèbre mausolée du Taj Mahal symbolise l’Inde, alors qu’en réalité c’est le Pakistan. D’ailleurs, il a failli être démonté pierre par pierre pour être remonté au Pakistan…

Cela a été envisagé. Les grandes œuvres architecturales de l’Inde du Nord, quand vous allez à Delhi ou Agra, sont des monuments construits par les grands Moghols de l’Inde dont le Pakistan se considère être l’héritier. Le Taj Mahal est intéressant parce que cela traduit ce que je disais, à savoir que les Moghols régnaient par la culture et non pas par la religion. Le Taj Mahal est une tombe – et non pas un palais – et c’est l’œuvre des architectes persans que Shah Jahan, empereur des Indes, a fait venir d’Iran. Il devait y avoir, face à ce mausolée qu’il a fait construire pour sa femme, le même bâtiment pour lui, de couleur noire, de l’autre côté du fleuve Yamuna.

Pour nous permettre de comprendre cette culture, vous expliquez que les Moghols parlaient le turc avec leur mère et leurs généraux, persan avec leurs poètes et l’administration, arabe à leur dieu et ourdou à leurs sujets…

L’ourdou est la langue officielle du Pakistan. Ce nom vient du mot persan campement militaire. C’est une langue qui est composée à 70 % de mots persans.

On pourrait penser que le Pakistan n’a pas de culture propre parce qu’il se situe entre ces croisements et que la véritable culture s’inscrit en Inde, mais c’est une erreur. D’ailleurs, pour bien comprendre une culture, il faut écouter sa musique. Je regarde parfois les émissions de Coke Studio Pakistan et l’on y découvre une musique qui est un mélange de soufisme avec des tonalités indiennes. Ce n’est pas vraiment arabe, ce n’est pas du Bollywood, c’est entre les deux, avec des arrangements très occidentaux…

Il y a un décalage entre l’image du Pakistan à l’étranger, où l’on a l’impression que c’est un pays qui est perpétuellement en guerre, en conflit avec l’Inde, un pays islamisé à outrance, et sa réalité dans sa musique et dans sa culture. Cette islamisation du Pakistan est un phénomène très récent, parce que cette partie occidentale des Indes britanniques était connue pour sa modération et pour son ouverture d’esprit. C’était l’islam des soufis et l’islam des mausolées. L’islam a changé au Pakistan au début des années 70 avec l’argent des Saoudiens qui ont transformé les madrasa qui enseignaient la tolérance. Cela a donné lieu à l’épisode de la Mosquée rouge où l’armée est intervenue, avec une centaine de morts. Les Saoudiens ont transformé l’identité de ce pays en une identité islamique, alors qu’elle était davantage culturelle.

Vous rappelez que de nombreux pays arabes ont observé avec inquiétude la création du Pakistan, qui se revendiquait clairement comme première nation musulmane à l’époque du nationalisme arabe…

Le Pakistan a été créé en 1947, alors que la plupart des pétromonarchies arabes islamiques qui se sont inquiétées de l’existence du Pakistan ont été créées dans les années 70. À un moment, le Pakistan avait la légitimité, devant l’Indonésie, pour prendre la direction du monde musulman sunnite. Les choses ont changé avec la découverte du pétrole et le fait que le monde a octroyé une surreprésentation du wahhabisme dans les relations internationales.

Il valait quand même mieux éviter de naître dans une famille moghole, car c’étaient des gens sans pitié qui n’hésitaient pas à décapiter leur père ou leurs frères…

Absolument. Quand les Anglais sont arrivés, le dernier empereur Moghol de l’Inde, Bahadur Shah, a été arrêté dans la tombe de son ancêtre par les troupes anglaises. Le lieutenant William Hodson abattit de sang-froid ses enfants sous ses yeux et il s’en vanta dès le lendemain auprès de sa sœur : « En vingt-quatre heures, je disposai des principaux membres de la famille de Timour le Tartare. Je ne suis pas cruel, mais j’avoue que j’étais heureux de pouvoir débarrasser la terre de ces scélérats. » On venait de couper la tête de ses fils. Elles ont été servies sur un plateau et Bahadur Shah a dit : « Nous avons l’habitude de subir des vexations de cette nature, car rares sont les fils des empereurs Moghols qui arrivent à avoir une vie normale ». Par exemple, le fils aîné de Shah Jahan, qui était destiné à devenir son successeur, a été décapité par son frère cadet, qui était une sorte de taliban de l’époque…

On perçoit bien qu’au sein de ce grand ensemble, il y avait une rivalité très forte entre les deux communautés et vous signalez à quel point les Indiens ont traité les musulmans avec mépris, alors qu’ils partageaient le même territoire…

C’est ce qui découle de la révolte des cipayes en 1857, lorsque les Anglais ont décidé de privilégier leurs relations avec la population hindoue au détriment des musulmans. Avant cet événement, les musulmans étaient les partenaires privilégiés des Anglais, et pas les hindous. Aujourd’hui, avec un Premier ministre indien comme Modi, le nationalisme indien est exacerbé et, l’identité nationale jouant un rôle, on est hindou indien parce que l’on n’est pas musulman pakistanais et l’on est dans un processus de fabrication de l’ennemi.

La partition était-elle inévitable ?

La partition des Indes aurait pu être évitée, mais cela a eu lieu. Le parti du congrès indien a même offert les plus hautes fonctions à Mohammed Ali Jinnah, qui était le chef de la ligue musulmane, pour éviter cela. Cependant, Jinnah considérait qu’il n’y avait aucune chance pour que les musulmans de l’Inde puissent trouver une vie égale à celle des hindous dans un pays où les hindous seraient majoritaires.

Notre entretien permet aussi de comprendre que si les relations ne sont pas bonnes entre le Pakistan et l’Inde, ce n’est pas simplement lié au conflit du Cachemire…

Cette province est devenue le lieu de fixation parce que, lors de la partition, on a laissé le soin au maharaja de choisir vers quel pays il devait s’orienter. Le maharaja était hindou, alors que la majorité de sa population était musulmane, or il a choisi l’Inde. Mais il n’y a pas que cela. Quand les Pakistanais regardent vers l’Inde, ils voient les tombes de leurs ancêtres qui sont de l’autre côté, alors qu’ils sont vers l’Ouest, tout en se considérant comme étant les grands dépositaires des valeurs mogholes.

Maintenant, comme le Pakistan est une puissance nucléaire, peut-on considérer que les frontières ne seront plus remises en question ?

Si l’arme nucléaire est considérée comme une arme définitive de dissuasion, la réponse est oui, le territoire pakistanais est sanctuarisé. La seule menace pour le Pakistan, théoriquement, c’est l’Inde, puisque les Pakistanais sont dans la fixation que l’Inde veut mettre un terme à leur souveraineté en raison de cette notion de grande Inde.

Les services secrets pakistanais, l’ISI, sont connus dans le monde entier pour leur double jeu. Les généraux coopèrent avec la CIA et, dès le lendemain, ils vont transmettre des informations aux talibans… N’est-ce pas un problème majeur ?

L’Afghanistan est un enjeu géostratégique majeur pour le Pakistan, comme pour l’Inde. Ces pays vivent quasiment dans un état de guerre. Les Pakistanais considèrent que les Indiens veulent, à travers l’exercice de leur influence sur l’Afghanistan, encercler le Pakistan, et les Indiens pensent la même chose. La réalité est que les talibans, comme le rôle de l’armée pakistanaise en Afghanistan, sont une création américaine. Lorsque les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan, les Américains ont pris la décision, en finançant et en armant des personnes comme Ben Laden, de constituer une armée islamique pour contrecarrer la présence soviétique via le Pakistan. C’est à ce moment-là que la question de l’islamisation de la région a pris un tour massif. Malheureusement, l’Inde et le Pakistan sont empêtrés dans ce conflit, l’un voulant encercler l’autre, et les États-Unis viennent de rebaptiser leur flotte pacifique en la qualifiant de flotte Indo-Pacifique, ce qui donne une importance accrue à l’Inde. Face à cela, les Pakistanais vont vers la Chine, qui a ses propres contentieux territoriaux et économiques avec l’Inde pour que la route de la soie – la fameuse théorie de projection de pouvoir des Chinois – passe par le Pakistan, qui est devenu aujourd’hui l’un des principaux partenaires de la Chine. Il est nécessaire pour Islamabad de voir le bout de tout cela si ce pays veut cesser de consacrer plus de 50 % de son budget à sa défense. C’est un pays de 200 millions de personnes, avec un niveau d’éducation important, de grandes universités, une grande histoire… Ce pays mérite mieux que ce qu’il a aujourd’hui.

Vous avez cité le terme de région Indo-Pacifique que nous n’avons pas appris dans les livres de géographie. Maintenant, le gouvernement français utilise aussi cette expression. Est-ce une erreur ?

Il ne faut pas rebaptiser l’histoire. Je viens d’assister au Sénat à une conférence où les modérateurs n’ont cessé d’utiliser le mot Golfe. J’ai demandé ce que cela signifiait, puisque l’on pouvait parler du Golfe du Mexique ou du Golfe du Morbihan… Tout cela pour ne pas utiliser le terme de Golfe persique ! Les Iraniens appellent bien mer d’Arabie la mer d’Arabie, alors pourquoi les uns et les autres n’utilisent-ils plus le terme de Golfe persique ? Il y a une volonté de réécrire l’histoire dans le monde entier. L’Iran en est victime, le Pakistan en est victime… On a oublié que le Pakistan était l’héritier du grand empire Moghol des Indes.

La couverture de votre livre présente trois personnes voilées marchant dans la rue, alors que vous auriez pu mettre en exergue des femmes « branchées » dans un café d’Islamabad…

C’est vrai… J’aurais pu mettre également une armée en uniforme, ce qui serait davantage en adéquation avec la perception des lecteurs… Mais, la réalité, c’est que les jeunes femmes sont les mères de demain et leur éducation et leur ouverture d’esprit doivent avoir un impact sur l’avenir de ce pays. Si les mères appellent à l’ouverture d’esprit, la génération d’après cessera de regarder l’Inde comme un ennemi potentiel et elle verra l’islam comme ce qu’il n’aurait jamais dû cessé d’être, c’est-à-dire une religion de tolérance et de vertu.

Enfin, vous rappelez qu’en 1786, les Français ont failli jouer un rôle dans cette région du monde et que nous aurions pu prendre la place des Anglais. Que s’est-il passé ?

Cette date fatidique représente l’irruption de la France révolutionnaire, avec la présence française aux Indes. Les sultans se sont battus contre les Anglais. La France pouvait jouer une carte, mais elle a préféré se concentrer davantage sur l’Europe et le Maghreb. Déjà, à l’époque de Louis XIV, les pirates venaient capturer des Français en France pour les vendre sur le marché d’Alger. Géographiquement, la France a toujours regardé vers l’Ouest et le Sud, plutôt que vers l’Est.

Écrit par Rédaction

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